L'homme

 

Le consul belge: les débuts, 1885

L'ambassade de Belgique à Ottawa, soucieuse d'explorer de nouveaux débouchés pour ses capitaux et ses produits, annonce officiellement l'ouverture d'un consulat à Montréal, Québec.

Le poste de premier consul général de Belgique sera occupé par Monsieur Ferdinand-Charles van Bruyssel.

Ferdinand VB, circa 1876. Photo gracieuseté du Lexington Military Institute, Virginie.


Ferdinand VB, circa 1890. Archives privées.

L'explorateur

Pendant près d'une dizaine d'années, le consul van Bruyssel parcourt la "Fédération canadienne" d'une mer à l'autre, moissonnant une somme prodigieuse d'informations, de contacts et de relations qui contribueront grandement à l'essor des échanges culturels et commerciaux entre la Belgique et le Canada. C'est également dans ce but qu'il fit paraître à Bruxelles en 1895 un ouvrage remarquable tant par le style que par la richesse de son contenu: "LE CANADA" -agriculture - élevage - exploitation forestière - colonisation".

À 38 ans, il abandonne la carrière diplomatique pour la vie plus aventureuse d'entrepreneur et d'agent promoteur. Mandaté par la Banque d'Outremer de Belgique, il part à la recherche d'opportunités d'investissement dans ce pays quasi vierge.

Ingénieur gradué du Military Institute de Lexington en Virginie, il reconnaît rapidement les avantages de la Mauricie pour l'exploitation forestière. Sur ses recommandations, la Belgo-Canadian Pulp Co. est fondée à Shawinigan en août 1900.

"... Je l'ai conçue et proposée, j'en ai choisi le site, pris sous option les forêts et le contrat de force hydraulique et établi les bases dans des conditions si favorables que...l'affaire est devenue l'une des plus brillantes que la Belgique ait faites à l'étranger".

- Ferdinand-Charles van Bruyssel
24 septembre 1924

Camp forestier, circa 1910. Archives privées.

Le promoteur

Pour diriger les vastes opérations de son entreprise, van Bruyssel fait construire un chef-lieu administratif et technique en un lieu stratégique, aux limites des bassins versants de la Mauricie et du Lac St-Jean, en pleine forêt laurentienne.
Simultanément, l'arrivée de Lomer Gouin au poste de premier ministre de la Province de Québec en 1905 offrit enfin à van Bruyssel le soutien politique nécessaire à la mise en oeuvre d'un vaste plan d'action débutant par la création du ministère des Terres et Forêts.

Cette même année, deux jeunes Québécois entrent à l'École forestière de Yale à la demande de Mgr J.C.K. Laflamme et Ferd. van Bruyssel. Deux ans plus tard, nos premiers forestiers scientifiques (Avila Bédard et Gustave C. Piché) ont pour tâche d'implanter la nouvelle politique forestière du ministère des Terres et Forêts désormais basée sur les sciences naturelles: classification des sols en fonction de leur potentiel agricole ou forestier, inventaires forestiers systématiques, développement de la sylviculture.

Cette nouvelle orientation donna également lieu à la création du Service de la protection des forêts (1905), de la pépinière de Berthierville (1908) pour le recrutement et la formation de nouveaux forestiers scientifiques, suivie de la naissance de l'École forestière de l'Université Laval en 1910. Pendant les 30 années qui suivirent, à titre de conférencier et de conseiller spécial auprès des différents ministres qui se succédèrent au ministère des Terres et Forêts, Ferd. van Bruyssel assura autant que faire se peut la bonne marche du plan dont il avait lui-même dans une large mesure établi les bases en s'inspirant des travaux du Dr. Bernhard E. Fernow.

L'ère duplessiste, survenant à peine un an après la mort de Ferd. van Bruyssel (1935), marqua un certain recul au niveau de la politique forestière... et le début d'un long purgatoire pour son promoteur. Faits significatifs, Gustave C. Piché, Libéral avoué et très proche de van Bruyssel, fut aussitôt contraint de quitter le ministère; les ingénieurs forestiers se virent retiré le mandat de classification des sols pour faire place à une politique discutable de colonisation.

Ainsi tombèrent dans l'oubli, malgré le touchant rappel de Damase Potvin ( Les Oubliés, éd. Rock Poulin, 1944), nos vaillants précurseurs du développement durable.

L'ingénieur

Reconnu comme « fort expert en économie forestière », l'ingénieur van Bruyssel s'inspira notamment des travaux du Dr.Bernhard E. Fernow puis, s'associa à Mgr Laflamme et MM. Joly de Lotbinière (père et fils) «principaux promoteurs de mesures efficaces pour la conservation de la forêt canadienne » pour élaborer ce qui allait s'imposer comme la nouvelle politique forestière du Québec. Ferd. van Bruyssel passera alors de la parole aux actes par la mise en œuvre des 'chantiers' du bassin de la rivière Bostonnais à titre de démonstration pratique d'une exploitation responsable de la ressource au tout début du siècle passé.

C-F van Bruyssel, analyse du pays québécois. Archives privées.

Près de 30 ans plus tard, cette expérience deviendra le sujet principal de son ouvrage autobiographique d'abord publié à Paris en 1934 et réédité en 2010 aux Éditions du Septentrion (Québec) sous le titre "Jean Vadeboncoeur & Cie - Esquisses du pays québécois". L'auteur n'a certes pas 'inventé' la foresterie scientifique (ce qu'il se garde bien de prétendre d'ailleurs) toutefois il fut le premier, croyons-nous, à en faire l'application systématique, à en proposer le modèle par l'exemple concret et vécu.

Les lieux - portant son nom depuis 1905 – furent en quelque sorte la première forêt-école au Québec, l'une des rares et parmi les toutes premières expériences documentées d'application des principes de la foresterie scientifique au Québec.

Mort de Monsieur F. van Bruyssel

Quotidien L'Evénement, Québec, lundi 21 janvier 1935

M. Ferdinand van Bruyssel (né en 1856, ndw), Belge d'origine et Canadien d'adoption, est décédé hier à l'âge de 79 ans. Ancien consul-général de Belgique au Canada (de 1887 à 1894). Fondateur de la Belgo Canadian Pulp Company et ancien officier spécial au ministère des Terres et Forêts. M. van Bruyssel est l'auteur d'un ouvrage, "Le Canada", publié en 1895, et d'un roman de moeurs canadiennes paru l'an dernier à Paris. Officier de la Légion d'Honneur et Chevalier de l'Ordre de Léopold.

- L'Evénement, Québec, lundi 21 janvier 1935
- La Presse, Montréal, lundi 21 janvier 1935